#17 Bigorexie : Quand le sport devient une addiction
Je vis et reçois mes patient.e.s à Grenoble et c’est une terre de sportifs.ves. Ski, randonnées, grimpe, vélo, le trail et le triathlon… Le cadre magnifique est propice aux activités physiques d’extérieur auxquelles s’ajoutent évidemment toutes les autres. Mais depuis quelques temps, je m’interroge sur la relation au sport de certains proches, et… de la mienne. Quelle est la réelle place du sport dans notre vie? Ce qui m’amène à écrire sur la bigorexie. Je propose ici d’expliquer, de partager des témoignages et de discuter de cette addiction… au sport !… méconnue et peu discutée alors qu’elle concernerait entre 10 et 15% des sportifs en France. Tout de même ! Et comme toutes les addictions, en sortir n’est pas chose aisée et nécessite le plus souvent une aide appropriée. (A la fin de l’article, un petit cadeau humoristique)
Même le sport, aussi valorisé socialement soit-il, peut être l’objet d’une addiction.
Qu’est-ce que la Bigorexie ?
La bigorexie, mot issu de l’anglais big, grand, gros, et du grec orexis, désir, est une addiction comportementale souvent décrite comme une “addiction positive et sans substance”. C’est une addiction car elle est une dépendance excessive ici à l’exercice physique, au même titre que les addictions peuvent avoir pour objets les substances, les produits, les écrans, le jeu ou autre. Cette obsession du sport pousse les individus à pratiquer de manière compulsive, au détriment de leur santé et de leur vie sociale, marqueurs parmi d’autres de l’addiction selon le DSM.

Les personnes atteintes de bigorexie ressentent un besoin irrépressible de s’entraîner quotidiennement, souvent plusieurs heures par jour, malgré la fatigue, la douleur ou les blessures. Elles peuvent également éprouver une forte anxiété ou une culpabilité excessive lorsqu’elles ne peuvent pas s’exercer. Loin d’être un simple excès d’enthousiasme, il s’agit d’un véritable trouble qui altère la qualité de vie.
La bigorexie est un trouble encore méconnu mais qui peut avoir des répercussions graves sur la santé physique et mentale. Cette dépendance est difficile à détecter. Le sport est socialement valorisé et perçu comme une habitude bénéfique. Elle peut alors même être minimisée ou encouragée par l’entourage.
Les Conséquences de la Bigorexie
Le sport est souvent présenté comme un élément clé d’un mode de vie sain. Ça l’est ! Sans aucun doute. Il améliore la condition physique, renforce le mental et prévient de nombreuses maladies. Cependant, une pratique excessive peut engendrer des conséquences néfastes. Tout simplement parce qu’elle est… excessive…
Un excès d’exercice physique, surtout sans récupération adéquate, peut entraîner des blessures chroniques et des douleurs musculaires persistantes. Le corps, constamment sollicité, ne trouve pas le temps de se régénérer. Cela peut entraîner un affaiblissement du système immunitaire.
Au-delà des effets physiques, la bigorexie engendre des répercussions psychologiques et sociales. L’obsession pour l’entraînement peut isoler progressivement les individus, les éloignant de leurs proches et de leurs engagements personnels. L’image du corps devient une préoccupation centrale, parfois associée à des troubles alimentaires comme l’anorexie (sous alimentation) ou la dysmorphophobie (vision erronée de son corps). Le terme a d’ailleurs été créé à l’origine pour l’obsession maladive des culturistes pour leur apparence et la taille de leurs muscles.
L’anxiété et la frustration grandissent lorsque l’entraînement est impossible, créant une dépendance émotionnelle qui affecte l’équilibre mental. En cas de blessure, il y a les syndrômes de manque et de sevrage authentiques.
Témoignages
Servane Heudiard nous offre l’occasion rare d’un témoignage dans son livre: Le sport, ma prison sans barreaux. Elle illustre de nombreux critères du DSM que je liste avec A pour Abus et D dépendances selon la photo ci-dessus.
On ne consomme JAMAIS par hasard. Une addiction est une stratégie d’adaptation qui a une fonction.
“J’organise toutes mes journées autour du sport.” -D5- “Si je reste un jour sans sport, je deviens irritable, je suis très mal dans ma peau.” -D3- “Si je manque de temps pour mon travail, je vais rogner sur mon sommeil ou autre chose, mais pas sur le sport.” -D4- “Vis à vis de ma famille, j’ai renoncé à des évènements importants” -A3 et D6 –
Elle avoue que le “sport comble ses failles psychologiques” notamment sa “crainte de grossir”. Et qu’elle est passée du “sport bénéfique” au “sport obligation, contrainte, addiction”. -D4-
Servane a eu des comportements dangereux, avec l’occurrence de 3 accidents graves.” -D7 et A1- Elle relève que “faire du sport alors qu’on est blessé, ce n’est pas signe de courage, ça peut être un signal d’alarme.”
L’actrice Anne Richard partage également son expérience sur un plateau. Le besoin quotidien, l’organisation de son emploi du temps autour du sport sans plus aucune flexibilité, l’obsession et la pratique malgré les blessures et l’état du corps, être hermétique aux alertes partagées par les proches… On retrouve tout cela, signes d’un comportement addictif.
Sébastien Nain champion d’ultra trail brutalement arrêté par une blessure après un accident et d’autres nous le partage aussi dans un reportage de France 3.
Anne Richard partage qu’elle n’est pas allée en thérapie pour travailler le sujet. Dans le reportage, d’autres ont compris qu’ils avaient besoin d’aide. En effet, on le sait, la maladie est l’addiction et non pas le support de l’addiction. Supprimer le sport ne traite pas les racines du problème. Être accompagné par un professionnel de santé est fondamental pour décoder la raison, “l’intérêt”, la fonction qui se cache derrière l’addiction.
“On veut évacuer les problèmes symboliquement par le sport. Ça marche. Seulement l’espace d’un instant. Comme toutes les drogues !”
Un juste équilibre pour préserver sa santé
Si l’excès de sport peut être destructeur, le manque d’activité physique est également un problème de santé publique. Ne l’oublions surtout pas ! Particulièrement en France qui a des résultats catastrophiques sur ce plan avec une situation dégradée depuis 1980. “3 enfants entrant en 6e sur 5 ne peuvent pas enchainer 4 sauts à cloche pied” s’alarme le collectif “Pour une France en forme”.
La sédentarité favorise l’apparition de maladies métaboliques et cardiovasculaires, comme le diabète de type 2, ainsi que des douleurs chroniques dues à un affaiblissement musculaire. Trouver un équilibre entre pratique sportive et repos est essentiel. L’écoute du corps, l’acceptation du repos et une approche plus holistique du bien-être permettent de profiter des bienfaits du sport sans tomber dans l’excès. Un excès encouragé par les tendances: le trail est devenu ultra trail; le triathlon devenu l’Ironman etc…
Conclusion et un peu d’humour
La bigorexie est une addiction insidieuse, difficile à identifier et souvent encouragée par un environnement qui valorise la performance et la discipline. Pourtant, ses effets délétères sur la santé physique et mentale sont bien réels. Pratiquer une activité physique doit rester un plaisir et non une contrainte. Reconnaître les signes de cette dépendance (cet article propose des critères d’évaluation) et apprendre à respecter les besoins de son corps sont des étapes essentielles pour retrouver un rapport sain au sport. Comme dans beaucoup de domaines, la clé réside dans la mesure et l’écoute de soi.
Vous craignez d’être dans l’excès de pratique sportive? Partagez en commentaires votre expérience ou vos questionnements.
Comme promis, petit cadeau: Marina Rollman qui plaint les coureurs et les adeptes des salles de sport
Sources
- “Courir à en souffrir” France 3 Provence Alpes Côte d’Azur
- « Comme une fumeuse, je ressens très vite le manque »: ils sont accros au sport. 4 février 2022, Article BFM tv, Céline Hussonnois-Alaya
- Le Monde, 9 mars 2025, “La bigorexie ou quand l’activité physique devient addiction”, Patricia Oudit
- Véléa, D. (2002) L’addiction à l’exercice physique. Psychotropes, Vol. 8(3), 39-46.
Aller plus loin…
- Le sport, ma prison sans barreaux. Servane Heudiard, édition Bold
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